L’influence des règles classiques sur la représentation de l’action dans Phèdre de Jean Racine

Présentée pour la première fois en 1677, Phèdre de Jean Racine est un bel exemple du genre tragique de la deuxième moitié du XVIIe siècle. Dans cette pièce on peut voir les courants intellectuels, littéraires et politiques du temps. Le classicisme influe l’action de Phèdre à travers le contexte politique et intellectuel de l’époque, les courants littéraires, les genres préférés et les formes de texte exigées. L’œuvre reflète la pensée du jour, s’insert dans les courants littéraires, est un des meilleurs exemples du genre tragique préféré à cette période et respecte parfaitement les formes et les règles classiques.




CONTEXTE HISTORIQUE

La deuxième moitié du XVIIe siècle voit apparaître beaucoup d’œuvres théoriques en France, comme le Discours de la méthode de René Descartes en 1637. C’est l’âge de la raison. On veut remplacer le désordre baroque par l’ordre classique qui est l’illustration de cette raison. « Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement, et les mots pour le dire arrivent aisément. » dit Nicolas Boileau dans Art Politique en 1674. De plus, il y a une volonté politique de célébrer l’ordre monarchique. Contrairement au Moyen Âge, le roi a le pouvoir absolu. On veut le présenter comme centre de l’univers.

            Le Cardinal de Richelieu, grand ministre du roi Louis XIII crée l’Académie Française en 1635 pour normaliser la langue française et et sauvegarder les œuvres publiées. Le Cardinal forme aussi le Groupe des cinq, afin d’utiliser leurs ouvrages pour codifier le théâtre. Sous son influence, on rédige les règles classiques.

            Les auteurs qui écrivent bien et selon les règles du classicisme se font reconnaître par l’état et reçoivent une pension et la promotion. Le mécénat (ou patronage) privé est découragé en faveur du mécénat de l’état. On va maintenant tourner surtout autour de la cour royale et dédier ses œuvres au roi. L’état aura un plus grand contrôle sur ce qui s’écrit et sur la manière de l’écrire. Cela facilite la promotion de la monarchie et le pouvoir absolu. Dès 1637, après la querelle autour de l’œuvre Le Cid de Pierre Corneille, les règles classiques deviennent officielles.

            Phèdre de Jean Racine est une pièce inspirée de l’antiquité grecque; elle suit le courant d’un retour vers le classique. C’est une pièce qui traite de personnages de la cour royale de la Grèce ancienne mais les thèmes politiques, comme la succession par exemple, sont aussi pertinents dans la période courante. « Pour le choix d’un maître Athènes se partage : Au prince votre fils l’un donne son suffrage, Madame ; et de l’État l’autre oubliant les lois, Au fils de l’étrangère ose donner sa voix. On dit même qu’au trône une brigue insolante Veut placer Aricie et le sang de Pallante. » (Acte 1, scène 5, p. 39) La pièce respecte toutes les règles classiques et est écrit de façon que Louis XIV puisse se voir dans le personnage du roi. Racine fait triompher le pouvoir légitime et la succession est garantie.

 

COURANTS LITTÉRAIRES

Dans la deuxième moitié du XVIIe siècle, des courants baroques comme la préciosité persistent encore. Celle-ci est un jeu mondain des sentiments et de l’expression littéraire qui se joue dans les grands salons en dehors de la cour royale (et de son influence). Elle utilise des métaphores et des périphrases pour développer un langage qui devient vite très compliqué. Le classicisme au contraire, se méfie des sentiments, veut mettre de l’ordre dans la littérature et promouvoir la raison. Il se veut un retour vers les grands classiques de l’antiquité grecque et latin. On se méfie des sentiments. Le drame survient lorsqu’un personnage ne maîtrise pas ses sentiments.

            Dans Phèdre de Racine, ce sont les sentiments non-maîtrisés de Phèdre qui mènent à la tragédie. Œnone raconte à Hippolyte; « Elle meurt dans mes bras d’un mal qu’elle me cache. Un désordre éternel règne dans son esprit. » (Acte 1, scène 2, p. 28) Elle se laisse mourir d’amour pour Hippolyte. Lorsqu’elle croit son mari mort, elle avoue son amour à Hippolyte sans attendre ni réfléchir. Thésée n’est finalement pas mort, et Phèdre, toujours malmené par ses sentiments, accuse Hippolyte de son propre « péché » pour se sauver. Quant à Thésée, c’est son impulsivité qu’il ne domine pas, et qui le pousse à condamner Hippolyte sans le questionner.

 

GENRES

Les deux seuls genres jugés dignes d’être vus dans les grands théâtres de la deuxième moitié du XVIIe siècle sont la comédie et la tragédie. Les deux sont réglées par les normes du classicisme et doivent démontrer le modèle à suivre. Ceux qui ne maîtrisent pas leurs sentiments ou qui se laissent aller dans l’excès ne peuvent pas bien finir. C’est surtout pour cette raison, que Le Cid a choqué l’Académie Française. Le mariage de Chimène et Rodrigue est un mariage d’amour. La passion emporte sur la raison et cela ne fait pas un modèle à suivre selon les mœurs classiques. [1]

La comédie, influencée par la farce médiévale et de nature plus mondaine, est considérée inférieure à la tragédie, plus triviale et moins hautaine. Elle est une satire sociale qui met en scène des faits cocasses et se moque de l’excès la préciosité.

La tragédie est le genre par excellence, qui permet de se faire reconnaître. Elle met en scène des personnages plus élevés, des princes et des nobles. Elle est souvent de nature politique ou liée aux intérêts de l’état. On parle de luttes de pouvoir entres personnages. Elle est inspirée des œuvres de l’antiquité gréco-romaine qu’on estime être ce qui s’est fait de mieux.

            Phèdre est considérée comme une des plus grandes œuvres de tragédie classique de la littérature française du XVIIe siècle. Elle respecte toutes les règles classiques, elle est écrite dans un style élevé et les personnages sont des nobles. Elle soulève des problèmes liés à l’état, comme la succession, et elle fait triompher le pouvoir absolu. Phèdre illustre très bien la méfiance qu’on a des sentiments. Elle démontre clairement les conséquences quand on ne maîtrise pas ses sentiments et ses impulsions. Thésée l’a compris trop tard : « Allons, de mon erreur, hélas ! trop éclaircis, Mêler nos pleurs au sang de mon malheureux fils ! » (Acte 5, scène 7, p. 110)

 

FORMES DES TEXTES

Les règles classiques sont une série de règles qu’on a rédigé pour se défaire du désordre baroque. On veut que les textes soient clairs, concis et bien structurés. Les règles se résument en trois grands thèmes, unité de lieu, unité d’action et unité de temps.

            Pour éliminer tous les chemins chaotiques par lesquels les pièces baroques avaient tendance à passer, on décide qu’une pièce, pour respecter l’idéal classique, doit se dérouler dans un seul lieu. La querelle sur l’œuvre Le Cid de Corneille porte justement, en partie, sur le fait que cette pièce ne respectait pas l’unité de lieu car elle se déroulait dans plusieurs endroits de la ville au lieu d’un seul.

            Contrairement aux œuvres baroques qui pouvaient contenir une histoire à l’intérieur d’une autre, et des intrigues secondaires, une pièce classique doit contenir une seule action avec un commencement (l’exposition), un milieu (le nœud) et une fin (le dénouement). L’exposition doit être entière, courte, claire intéressante, vraisemblable et inclure toute l’information dont on a besoin pour suivre l’histoire. Le nœud est composé des obstacles et péripéties des personnages et doivent se limiter à cette action unique. Le dénouement doit être nécessaire, complet et rapide. La pièce doit respecter les bienséances, on ne doit pas voir de sang ou entendre de langage vulgaire et la sexualité peut être implicite mais pas explicite.

            Pour être vraisemblable, l’action de la pièce ne doit pas dépasser 24 heures. Les spectateurs doivent avoir l’impression de rentrer dans la pièce en temps réel. On veut les faire oublier qu’ils sont au théâtre. Cela permet de mieux s’identifier avec les personnages et facilite aussi l’influence qu’ils auront sur le public. On veut que les personnages soient des modèles à imiter.

            Phèdre de Racine respecte les trois unités. L’action est unique, elle se déroule dans un seul lieu du palais et elle ne dépasse pas 24 heures. Elle respecte les consignes de bienséance et vraisemblance. Elle se conforme aux exigences de l’exposition, du nœud et du dénouement.

            À la fin du premier acte de Phèdre, nous savons tout ce que nous devons comprendre pour nous situer dans l’histoire. Hippolyte se confie à son gouverneur Théramène que Phèdre lui fait la vie difficile et qu’il est amoureux d’Aricie mais « Mon père la réprouve, et par des lois sévères, Il défend de donner des neveux à ses frères : D’une tige coupable il craint un rejeton, Il veut avec la sœur ensevelir leur nom. » (Acte 1, scène 1, p. 25) Phèdre se confie à sa nourrice Œnone qu’elle est désespérément en amour avec Hippolyte qui ne le sait pas. Panope, femme de la suite de Phèdre, vient annoncer la mort de Thésée, roi et mari de Phèdre. Voilà toute l’information dont nous avons besoin pour suivre le reste de l’histoire.

            Les obstacles intérieurs sont plus faciles à intégrer dans une pièce qui respecte les règles classiques que les obstacles extérieurs. Le nœud de Phèdre est donc composé d’obstacles intérieurs; des passions non-maîtrisées. Croyant son mari mort, Phèdre dévoile son amour à Hippolyte. Survient alors une péripétie : on découvre que la mort de Thésée n’est qu’une fausse rumeur. De peur qu’Hippolyte en parle à Thésée, Phèdre agit rapidement en l’accusant faussement de l’acte dont elle est coupable. Sans vérifier les accusations, Thésée s’emporte et condamne son fils. Ces passions non-maîtrisées mènent à la tragédie.

            Dans le dénouement de Phèdre, on voit la mort d’Œnone, la confession et la mort de Phèdre, le regret de Thésée, la mort d’Hippolyte et une résolution de la relation entre Thésée et Aricie. « Que malgré les complots d’une injuste famille, Son amante aujourd’hui me tienne lieu de fille. » (Acte 5, scène 7, p. 111) Les questions de succession sont résolues, le complot est découvert et la vérité est dévoilée, mais pas à temps d’éviter la tragédie. L’action est complète.

 

La pièce de théâtre Phèdre de Jean Racine est un des meilleurs exemples de la littérature classique du XVIIe siècle. Elle respecte toutes les règles classiques tout en étant un succès populaire, divertissant et intéressant. Elle est un excellent exemple du courant littéraire et du genre tragique de la période.



[1] C.R.I.S, Association. n.d. “La Querelle du Cid - Le Cid - Pierre Corneille, - mise en scène Yves Beaunesne, - theatre-contemporain.net.” theatre-contemporain.net. Consulté le 28 novembre 2020. https://www.theatre-contemporain.net/contacts/Le-Cid-18302/ensavoirplus.

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