Évolution des contes de chevaliers: De la chanson de geste au roman courteois

(Originellement écrit pour un cours de litérature française du 11e au 17e siècles.)

La Chanson de Roland, chanson de geste qui se distingue dans le genre par son caractère épique, est un des plus anciens poèmes héroïques écrits en français. Elle a été composée vers la fin du XIe siècle, possiblement par un dénommé Turold, mais on ne peut être certain s’il l’a composée ou s’il l’a tout simplement copiée. Environ cent ans plus tard, vers 1180, Chrétien de Troyes composait Yvain ou le chevalier au lion, un des plus célèbres romans courtois. Ces deux textes racontent, de façon grandiose, les exploits de preux chevaliers, qui se démarquent par leur loyauté, leur courage et leur fierté. Depuis la Chanson de Roland les contes chevaleresques ont connu certaines transformations et on voit apparaître, dans Yvain ou le chevalier au lion, des femmes dans de rôles importants face aux chevaliers et des éléments de magie qui entourent les exploits. Dans la chanson de geste la femme est un accessoire de l’homme mais elle passe à une place d’influence et d’honneur dans le roman courtois. Dans la chanson de geste on retrouve des exploits basés plutôt dans la réalité alors que dans le roman courtois, le chevalier se retrouve dans une histoire influencée par des objets magiques ou des archétypes.


Dans la littérature courtoise, les femmes sont beaucoup plus présentes dans la vie du chévalier que dans la chanson de geste par leurs actions et par la fidélité qu’on leur jure. Dans la chanson de geste, on raconte les exploits de l’héro et les hauts faits du roi, des évêques, des autres seigneurs, mais la femme, quand elle est mentionnée, est subordonnée aux actions de l’homme ; elle est un attribut, un accessoire de l’homme. Ce qui est le plus important pour le chevalier dans la chanson de geste c’est de ne jamais être lâche devant l’ennemi. On va préférer mourir plutôt que de fuir. « Maudit soit le fuyard ! Dût-on mourir, personne ne vous fera défaut. » (la Chanson de Roland, p. 145) Fuir serait la mort sociale. Le but est de passer à l’histoire. Quant à la littérature courtoise, elle raconte également les exploits de l’héro et de ses compères, mais en plus, elle raconte l’amour que le chevalier a pour une femme. La femme a un rôle à jouer, elle va influencer le chevalier, avoir sa propre opinion, agir de son plein gré et marquer l’histoire. Dans Yvain ou le chevalier au lion, sans l’aide de l’habile et astucieuse Lunete, Yvain n’aurait probablement jamais gagné l’amour de sa dame. « Lunete a accompli là du bon travail, car ce qu’elle vient d’obtenir représente bien ce qu’elle désire le plus au monde. » (Yvain ou le chevalier au lion, p. 121) Pour le chevalier, ne jamais être lâche devant l’adversaire est aussi important dans la littérature courtoise que dans la chanson de geste; son honneur dépend de ses exploits, mais il dépend aussi de sa politesse et de sa courtoisie. Le but est de gagner et de garder l’amour de sa dame. D’ailleurs, dans la chanson de geste, le chevalier va vouer une loyauté à la France, à son roi et à son seigneur. Il forme une alliance avec d’autres hommes. « Pour son seigneur on doit subir de grands maux, endurer de grands froids et de fortes chaleurs, on doit perdre de son sang et de sa chair. » (La Chanson de Roland, p. 151) Il n’y a pas de mention d’alliance avec les femmes. En revanche, dans la littérature courtoise, la loyauté envers sa dame est aussi importante pour le chevalier que la loyauté envers son suzerain. On va jusqu’à créer des scènes semblables à un adoubement : « Elle lui prépare une cotte d’écarlate vermeille, fourrée de vair, avec de la craie encore dessus. Elle n’omet pas de lui procurer tout ce qui est requis pour le parer. » Le chevalier déclare son amour et sa fidélité à sa dame comme s’il vouait sa loyauté envers son suzerain : « Messire Yvain joint aussitôt les mains et, en véritable ami, se met à genoux pour lui déclarer : “Ma dame, jamais, en vérité, je ne solliciterai votre pitié, je vous remercierai plutôt de tout ce que vous voudrez me faire, car rien ne saurait me déplaire.” » (Yvain ou le chevalier au lion p. 41) Les femmes alors, occupent une place d’influence et d’honneur dans la littérature courtoise, ce qui n’est pas le cas dans la chanson de geste.

La littérature courtoise ajoute des éléments de magie tels des objets magiques ou des archétypes; éléments qu’on ne voit pas dans la chanson de geste. La chanson de geste est sensiblement basée sur la réalité et les préoccupations de l’élite de la société (du moins, celles des hommes) même si elle reste une œuvre de fiction hyperbolique. Les exploits des chevaliers sont plus glorieux, plus épiques, plus grands que nature. Partout, il y a des exagérations dans les textes : « Olivier dit : “J’ai vu les païens. Jamais nul homme sur terre n’en vit plus.” »  (La Chanson de Roland, p. 145) Et on décrit les batailles jusque dans des détails sordides: « Le compte Roland voit l’archevêque à terre ; hors de son corps il voit, gisant, ses entrailles, et sous son front s’écoule sa cervelle. » (La Chanson de Roland, p. 237) L’exagération existe aussi dans la littérature courtoise : la beauté d’une femme ou l’accueil d’un homme qui surpassent les mots, ou encore, un orage tel qu’on croit la fin du monde, mais on laisse de côté les détails morbides et on y ajoute des objets magiques, inspirés des comptes arthuriens, comme la fontaine qui provoque des tempêtes (Yvain ou le chevalier au lion, p. 21) ou encore l’anneau magique que Lunete fait porter à Yvain pour qu’il soit invisible. (Yvain ou le chevalier au lion, p.25) Or, des archétypes, dans la chanson de geste, on n’en voit pas. Les actes du chevalier sont une réflexion de son caractère, il n’y a pas d’influence extérieure. Quand Roland refuse de sonner son cor, la décision vient complètement de lui. « Je préfère mourir que subir la honte. » (La Chanson de Roland, p.149) Dans la littérature courtoise, à l’opposé, on voit les sentiments Amour, Haine, ou Honte se personnifier. Inspiré des histoires d’antiquité, on introduit dans l’histoire des archétypes qui semblent avoir une légère influence sur les évènements du fait de leur présence. Quand Yvain tue le chevalier Esclados le Roux, Amour prend sa revanche en le faisant tomber amoureux de la veuve Laudine. « Sans même le savoir, la dame venge bien la mort de son seigneur. Sa vengeance a même plus de prise qu’elle n’aurait pu en avoir elle-même. Amour l’a vengée en attaquant doucement Yvain qu’il a frappé au cœur en passant par les yeux. Ce coup meurtrit plus longuement qu’un coup de lance ou d’épée. » (Yvain ou le chevalier au lion, p. 30) Des éléments de magie s’ajoutent donc à la littérature courtoise et ont une influence directe ou indirecte sur les évènements ou sur les actions des protagonistes. 

Les chevaliers sont aussi preux dans la littérature courtoise que dans les chansons de geste et leurs exploits sont aussi épiques mais l’honneur que l’on recherche n’est plus dans le seul but de passer à l’histoire mais plutôt dans le but de gagner ou de garder l’amour d’une dame.  La politesse et le contrôle de soi sont des valeurs devenues plus importantes. La femme a une grande influence sur le chevalier et des éléments de magie tels des objets magiques ou des archétypes influencent l’histoire et la façon dont le chevalier va s’y prendre pour chercher l’honneur. Les sentiments prennent plus de place dans le roman courtois, au point de devenir des personnages. 


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